Anatomie de la main au cul

Il y a un an, j’ai fait ma première expérience de main au cul. Plaisir coupable, bien sûr. J’ai regretté immédiatement mon attitude. Mais est-ce que ce n’est pas le propre du désir ? Se loger dans les interdits ? Dans les angles morts de la morale ? Dans les excursions hors de soi ? Je fantasme encore ce moment. Comme un événement clé. Comme un grenier jamais ouvert de ma sexualité. Et qui contient des merveilles.

C’était au Paraguay. L’éloignement géographique se mesure en milliers de kilomètres, mais la distance comptable n’a pas d’importance. Ce qui importe, c’est le sentiment du rien. Le sentiment de n’être qu’un voyageur, un passant au temps court. D’être dans le lieu de l’aventure, dans le terrain des contes, où les personnages vont de surprise en surprise. Et se faire ballotter par des codes sociaux que vous ne comprenez qu’après coup. Bref, un lieu exotique.

L’événement a lieu dans un hostel – une auberge de jeunesse. Il est tenu par une grande fille aux épaules larges, longs cheveux teints en rouge, la trentaine. Elle ne m’attire pas particulièrement. Là réside le miracle du désir. Quand elle commence à me piquer avec des phrases ambiguës, mon regard sur elle se modifie. Mon espagnol est imparfait. Est-ce que je me fais des films ?

Ce soir-là, je suis en train de couper des légumes en cubes – avocats, tomates, oignons – pour me composer une salade. Elle est dans la cuisine. Elle discute avec un autre voyageur. En passant derrière moi, elle me met la main aux fesses. Me pelote. Et, se tournant vers son interlocuteur, lui sort quelque chose qui ressemble à : “regarde-moi ce beau cul ! ” Ils ricanent ensemble. Moi, je ne dis rien, je ne fais rien. Tétanisé ou heureux ? Les deux ? Ça ne dure qu’une seconde. Deux secondes, peut-être.

J’ai été homme-objet. Victime, sûrement, de ma timidité. Cette fille s’est sentie autorisée à me prendre le cul, parce qu’elle en avait envie, parce que c’était une pulsion. Ou pour faire une blague, comme on dit.

Je n’ai pas réagi. J’ai laissé faire. C’était nouveau pour moi. Une situation dont mon corps n’avait pas mémoire. Une situation où je me suis senti désiré. Où le plaisir l’a emporté sur l’objetisation.

Le soir, je me suis couché sur le ventre. Je n’ai pas trouvé le sommeil. J’ai espéré qu’elle vienne à tâtons dans le dortoir. Qu’elle soulève mon drap. Qu’elle glisse une main sous mon caleçon. Pour poursuivre le jeu de dupe. Faire semblant de dormir. Me laisser aller à son désir. À ses règles du jeu.

Si je raconte ça, c’est pour dire que les hommes sont complexes. Que les hommes ne sont pas juste un pénis, une machine à trous. Que la peau des hommes est une terre fertile. Pour rappeler que le cerveau est le premier organe sexuel. Pour dire que peut-être, les hommes n’osent pas dire qu’ils rêvent d’être pris, retournés, jetés sur le lit, maltraités (dans les limites du respect, j’entends). Que la sexualité des hommes est en mouvement, se construit avec le temps. Qu’on ne naît pas Mauvais-Coup, on le devient.

Si je raconte ça, c’est aussi pour dire qu’on peut prendre du plaisir à être objetisé. Hommes et Femmes. Et ça ne vaut pas la peine d’y coller un jugement moral, ou d’en donner une surinterprétation. L’espace sexuel suit sa propre logique, qu’on ne peut pas toujours comprendre.

Et bien sûr, je ne dis pas qu’il faut accepter les mains au cul. Ce n’est pas mon propos. Je dis bravo à celles et ceux qui ont la claque facile.

Le lendemain, j’ai repris la route. Nous nous sommes enlacés. Sa main s’est de nouveau posée sur mon cul, avec naturel, comme le ferait un couple de longue date. Sans me peloter. Juste une marque d’affection. J’ai voulu faire de même. Pour lui montrer qu’il y a réciprocité. Que si je consens à lui donner cet accès à mon corps, alors elle peut aussi consentir au scénario inverse. Je ne l’ai pas fait. Je n’ai pas osé. Comme si j’avais peur. Comme si j’avais intériorisé que le corps des femmes est trop souvent pris pour un corps public. Que l’humiliation est aussi affaire de répétition et que je ne peux pas prendre part à cette appropriation machiste. Comme si son geste, du fait de son caractère exceptionnel (pour moi du moins), était exempt de violence. Et même, serait une juste réparation à l’histoire de la domination masculine.

Ma main est donc restée dans son dos. À travers son T-shirt, j’ai senti le renflement de son ventre, marqué par son jeans. J’ai trouvé ça érotique.