Re-faire corps

Pendant une rencontre autour de son dernier ouvrage, Un corps à soi, la philosophe Camille Froidevaux-Metterie expliquait que depuis quelques années, on observe un regain d’intérêt pour les thématiques liées au corps des femmes : règles, seins, ménopause, vulve.

Cela tiendrait au fait qu’avant les années 2000 dominait l’idée que parler de thématiques corporelles allait vous faire passer pour différentialiste, voire essentialiste. En d’autres termes, la recherche des spécificités des corps féminins, le questionnement du rapport des femmes à leurs corps, semblait incompatible avec la lutte pour l’ égalité hommes-femmes. Interroger les spécificités sonnait comme une manière de pointer les différences.

Mais ce qui apparaissait hier comme un paradoxe n’en est plus un. Égalité ne signifie pas uniformité.

Il est même urgent de s’emparer de ces thématiques, de saisir les enjeux du corps pour mieux les déconstruire. Car méconnaître les corps et la manière dont ils façonnent les genres et les représentations, c’est occulter une partie de l’équation.

Qu’en est-il des hommes ? Les hommes connaissent-ils leur corps, leur sexualité ? On dit que les mecs parlent tout le temps de cul. Mais en parlent-ils sérieusement, autrement que sur le ton de la fanfaronnade ? Arrivent-ils à se poser des questions entre eux ? À s’ouvrir de leurs tourments, déboires, à leurs amis ? Ou la peur de passer pour un faible bloque-t’il le dialogue, donc l’apprentissage ? Je pense souvent que oui.

J’ai une anecdote dans ce sens. C’était il y a quelques années, avec des amis d’une amie, qui me semblaient tout à fait ouverts à ces questions. À un moment donné, je me suis aventuré à affirmer que la gaule du matin n’était pas dûe à une excitation sexuelle, mais à un cycle normal, mécanique, qui assure « l’entretien » de la verge (Chose que j’avais appris il y a peu). Devant l’incrédulité de mes interlocuteurs, et la gêne provoquée, j’ai dû renoncer à convaincre, et changer de sujet. Le dialogue n’a pas eu lieu.

Autre indice qui me paraît appuyer mon propos : la production éditoriale. Travaillant en librairie, j’ai vu passer ces dernières années des livres qui invitent à repenser la sexualité, des ouvrages de vulgarisation sur le corps féminin et le plaisir : Chattologie, de Louise Mey et Klaire fait Grrr, Les Joies d’en bas, de Nina Brochmann et Elen Støkken Dahl, Le plaisir effacé, de Catherine Malabou, Seins, De Camille Froidevaux-Metterie, Sortir du trou, de Maïa Mazaurette, le Plaisir, de María Hesse, Pucelle, de Florence Dupré la tour, Libres !, de Ovidie et Diglee. Du côté des hommes, il me semble que la production est moins généreuse. Je pense seulement à Au-delà de la pénétration, de Martin Page et Pénis de Table, de Cookie Kalkair. Désintérêt des éditeurs, ou public pas au rendez-vous ? Peut-être un peu des deux…

Bref, tout en écoutant Camille Froidevaux-Metterie, je me disais qu’il serait intéressant de faire pour les hommes ce qu’elle fait pour les femmes.

Or, à ce moment-là, elle a raconté que souvent, en fin de rencontre, des hommes lui demandent si elle ne pourrait pas aussi écrire des livres qui traitent des attributs masculins. Ce à quoi elle répond, en substance : vous êtes bien gentils, mais j’ai déjà pas mal à faire avec le corps des femmes ! Vous n’avez qu’à vous en occuper vous-mêmes!

C’est donc ce que je me propose de faire, à mon échelle. Pas seulement parce qu’elle en a implicitement lancé le défi. Mais parce qu’il me semble qu’il y a un réel manque sur le sujet.

C’est l’objet de la nouvelle rubrique, intitulée “l’accessoire”, dédiée aux attributs du corps masculin. Leur mécanique, et leurs représentations.